Le bilan était lourd... La cause avait été abandonnée. Les cinq victimes de la route avaient été transportées à la morgue, et la famille des victimes avaient été prévenues. Dans un concert de sanglots et dans des plaintes déchirantes, les familles pleuraient les victimes. Assis à une table de la salle de repos, la tête dans les mains, Chris ne s'habituait pas au malheur des familles déchirées que plus rien ne pourrait réparer. Il faisait tourner pensivement la cuillère dans sa tasse de café, qui était à présent tellement tiède qu'il ne pourrait la boire. "Personne ne sait conduire en Italie" était une phrase célèbre qui n'en était pas moins vraie. Depuis le début du mois, les accidents de la route s'étaient multipliées, et laissaient derrière eux des cadavres ou des handicapés à vie. Et dans la plupart des cas, ceux qui perdaient la vie n'étaient pas fautifs.

Chris jeta son café froid dans l'évier, puis ressortit de la salle de repos pour se rendre dans la chambre de Madame Luoni. Cette dernière avait fait un accident vasculaire après une opération, et elle devait recevoir des soins à horaires spécifiques. L'infirmier se dirigea donc vers l'une des chambres du quatrième étage. Un sourire s'étala sur le visage de la patiente lorsqu'elle le vit entrer. Plusieurs des autres infirmières qui s'occupaient d'elle taquinaient Chris, en lui disant qu'elle avait un faible pour lui. D'un sourire qui tentait d'effacer les morts de la matinée, Chris alla remplacer les différentes poches, refaire les pansements, et s'assurer que Madame Luoni se portait bien. Il se chargeait également des piqures pour lutter contre le diabète dont il fallait être particulièrement soucieux après une opération. Lorsqu'il s'avéra que tout allait bien pour la patiente, Chris afficha un sourire plus franc qu'auparavant...

- Tout va pour le mieux Madame Luoni. Vous vous êtes très bien remis de votre accident vasculaire ! Votre diabète va très bien. Vous avez une petite baisse de tension, mais vous prendrez un cachet de vitamine matin et midi pour remédier à tout ça... Maintenant je dois vous laisser, et essayez de vous reposer le plus possible, d'accord ?

Sur ce, Chris sortit de la chambre, descendit au premier étage en empruntant l'ascenseur. Peut-être avait-on besoin de lui à l'accueil. Quand il fût parvenu en bas, on lui annonça qu'il n'y avait rien à faire pour le moment, et qu'il pouvait essayer de se reposer... Oui, mais seulement...

Et alors qu'il s'apprêtait à regagner l'ascenseur pour monter à la salle de repos, il percuta quelque chose qu'il n'identifia pas immédiatement. Ensuite, lorsqu'il entendit une voix féminine résonner dans le hall d'accueil, il comprit. Lui, Chris, le jeune infirmier maladroit à ses heures, venait de bousculer une très jolie jeune femme, qui devait avoir à peine plus de la vingtaine. Elle avait encore l'âge d'aller à l'université. Pourtant, elle n'avait pas l'attitude d'une étudiante en quoi que ce soit. Elle commença à faire demi-tour. Chris essaya de revenir à sa hauteur...

- Excusez-moi ! Je suis extrêmement maladroit parfois, je vous demande pardon !

Il s'interrompit. Il venait de remarqué les marques qui ornaient son visage, et il la voyait se tenir l'épaule. De toute évidence, ce n'était pas lui qui aurait pu lui faire aussi mal à l'épaule. Il la dévisagea avec un mélange de curiosité et d'inquiétude.

- Vous allez bien ? Quelqu'un vous a frappé ? Vous a fait du mal ?

La jeune femme n'avait, de toute évidence, pas envie de s'étaler sur le sujet. Chris en avait vu défiler des personnes qui refusaient qu'on les soigne. Il voulaient se prouver, et prouver aux autres qu'ils étaient assez forts pour résister à la douleur. Les personnes refusant qu'on les soigne étaient d'ailleurs très nombreuses, et il était en général délicat de les convaincre. Chris se permit d'insister...

- Je m'appelle Chris... Si quelqu'un vous a attaqué, dites-le moi ! En tout cas, si vous ne voulez pas me le dire, laissez-moi m'occuper de vous ! Vous êtes blessée et vous avez besoin de soins...